« Moi, docteur John, je me drogue »

Article : « Moi, docteur John, je me drogue »
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6 octobre 2019

« Moi, docteur John, je me drogue »

On oublie.

On les oublie.

Elles et ils deviennent pédiatres, cardiologues, ophtalmologues, dentistes ou gynécologues.

Et l’on oublie alors, qu’à la base, ils étaient des personnes comme vous et moi. Qu’ils ont des sentiments; qu’elle aime danser, qu’il est divorcé; qu’elle a des enfants, qu’il l’a désire en silence; qu’elle pense à lui, qu’il a ses fantasmes.

On oublie tout cela et l’on oublie même de les considérer naturellement comme l’on considère une amie ou un amant. Et ils se noient dans ce titre de médecin qui les accable parfois et qui viole leur vie privée. Une vie qui leur manque, je suppose. Une vie qu’ils aimeraient peut être, déguster savoureusement.

On oublie tout simplement de les aimer; à eux, avant de respecter leur statut.

 Sa lettre est exceptionnelle et c’est pour cette raison que je la transcris telle qu’il me l’a envoyée. Son esprit scientifique mêlé à son style romantique, l’organisation de ses phrases et la ponctuation utilisée m’ont permis de dévorer son histoire.

 

« En ce moment mes yeux sont fixés sur mon tatouage Albert, gravé là, du coté de mon cœur. Je sais que vous vous demandez de quoi s’agit-il, c’est en effet un beau dessin encré formant un A.

Alors,

La vie est un chao. Soyez votre propre chao, soyez crédibles et authentiques à votre propre existence pour ne pas succomber dans l’abysse chaotique de la vie elle-même.

Soyez orgueilleux et égoïstes quant à votre chao! Ne permettez pas aux autres de vous le voler.

L’addiction est un vice impardonnable comme le considèrent la majorité; mais c’est aussi une erreur tolérable pour quelques uns.

Pour moi, c’est le mélange des deux à la fois (tu te drogues?).

Je ne suis pas Moi!

Je ne suis pas la personne dont je rêvais devenir en grandissant.

Cependant, je « suis » mon chao.

Je souhaitais être l’Heureux!

Mais l’on m’appelle « Docteur ».

Dans leurs portables et sur les papiers officiels, je suis Docteur John.

Je suis médecin.

Je sauve leurs petites bêtes.

Je n’ai pas pu sauver la mienne. Celle qui me ronge l’esprit; celle qui veut toujours m’entrainer dans son chao.

Je suis vétérinaire.

Je suis l’enfant multiple. Oui! Celui qui a deux nationalités. J’ai même des origines au Kazakhstan.

Nous étions (pourquoi tu utilises le passé, pourquoi étions?) les grands de taille.

Lui et moi.

Vous savez, ceux qu’on aime bien (oui je sais! Qui n’aimerait pas un homme grand de taille?).

Les grands de taille parmi les autres, aux villages, à l’école et partout.

On nous appelait жиpaфa (qui signifie?).

Les meilleurs au basket, les meilleurs en équitation.

Nous n’étions pas corrompus. Nous étions les bons parmi les mauvais.

Albert et moi étions voisins et frères depuis la douceur de nos dents.

Le jour où je l’ai entendu me dire : « J’ai mal, tiens moi bien, enlace moi » est le jour J!

Le jour où je suis devenu la version actuelle de la personne que j’étais.

Le docteur qui se drogue (dommage. Je ne sais que dire).

Qui se drogue fort!

Je vous écris et je me rappelle de se Samedi ensoleillé durant lequel Albert s’abstenait à respirer, à rire, à me parler et même à exister. Il refusait catégoriquement de sentir la moindre émotion, le moindre mal. Son amour, elle, lui avait affirmé qu’elle le quittait pour ce bel homme de trente ans.

Albert avala les calmants de sa mère (Non!), but son dernier shot de vodka, me téléphona et m’invita à sortir. Pendant que nous nous promenions, je ne comprenais pas ce qui se passait. Il marchait lentement et soudain, il se pencha vers moi et me chuchota tout bas: « J’ai mal, tiens moi bien, enlace-moi, j’ai froid, je t’aime, pardonne-moi. » (Oh non!)

Et il s’éteint, là, entre mes mains. Et je ne pouvais rien faire. C’était la dernière fois que j’entendais sa voix.

C’étaient ses dernières paroles.

Mon frère était parti, pour l’éternité.

Je gisais dans les bras de ma « maman pianiste » comme je l’appelle, pendant deux jours.

Mon âme sœur était morte.

On ne m’a pas permis d’assister aux funérailles (pourquoi pas?).

Le soleil ne s’est jamais plus levé depuis.

Un an!

Je fuyais l’école pour dormir sur sa tombe (oh mon Dieu, quel malheur!). J’avais dix-sept ans. On m’expatrie en Angleterre.

Tout le monde était mon ennemi. J’étais riche.

Cocaïne, Héroïne, Crystal meth et tout autre genre de drogue. J’en ai même vendu à ceux qui, comme moi, vivaient leur propre chao. La police ne m’a jamais attrapé. Le soir où j’ai su que Leila (c’est qui?) est à l’hôpital suite à une overdose, j’ai arrêté le trafic.

 

Là, en Russie, Albert aurait pu oublier sa muse s’il avait essayé la drogue, il aurait pu surmonter le chao qu’elle lui avait infligé. Il aurait pu être en vie. Aujourd’hui je pense qu’il ne fallait pas qu’on soit les bons, que mon ami devait utiliser la drogue pour survivre sa peine comme je le fais moi, chaque jour (mais il pourrait mourir aussi! Qu’est-ce que tu racontes? Je comprends ton idée, ta tristesse et ta colère mais se droguer? C’est se suicider, comme Albert mais lentement).

J’aurai été à ses cotés pour le protéger et lui donner la bonne dose.

J’ai continué mes études en médecine et ma relation secrète avec la drogue en restant discret. Je ne parlais à personne. Je n’avais aucun ami. Albert, aucun!

Ma passion pour les langues, je la drogue, elle aussi; j’adore apprendre de nouvelles langues.

Je ne suis pas la personne dont je rêvais devenir en grandissant.

Je suis triste, je suis malheureux.

Naitre est une obligation, mais nous avons tous un moment fatidique! Cette fraction de seconde où l’on décide de mourir un peu (ou d’être courageux et de faire de belles folies, ou d’aimer, ou de pleurer, ou de lire, ou de vivre, mais pas de mourir, ni de tuer la beauté qui réside dans l’esprit de chacun d’entre nous).

La tristesse, la peur, l’angoisse, la colère et tous ces maux internes nous mènent vers une résurrection, parfois inutile. A nous de choisir!

Les animaux et les plantes sont reconnaissants quand on les sauve. Nous les humains par contre, nous sommes ingrats, nous plongeons dans cette eau morbide de pleurs, de regrets et de lamentations. Nous devenons prisonniers de ces expériences atroces au lieu de courir après le bonheur, de croquer la vie à pleines dents et de profiter de notre liberté.

A chaque dose, vous avez le choix de vous effondrer ou de réaliser votre chao.

J’ai levé ma tête, dressé mes épaules et j’ai réalisé nos rêves.

J’ai fait le tour du monde. Seul, avec mon A. J’ai visité l’Inde parce qu’Albert en rêve toujours.

Vous ne pouvez pas vous sentir fidèle à un autre ami si vous avez perdu votre bienaimé.

 

Je suis leur fierté.

Je suis Docteur.

Celui en qui l’on ne voit que la positivité, l’espoir et même un brin de divinité.

Mais au final, je ne suis qu’un homme fatigué, épuisé, solitaire, triste et enragé. Je ne peux imaginer un autre ami. Pas dans cette vie.

Albert, je t’aime.

Merci de m’avoir incité à faire de ma vie un chao parfaitement réussi.

Merci de m’avoir transformé en un homme couronné de succès.

C’est ce qui compte pour eux dans cette vie, c’est ce qu’il voit en moi ».

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