Hommes, lumières et dentelle

Article : Hommes, lumières et dentelle
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2 octobre 2019

Hommes, lumières et dentelle

Il était trois heures du matin, je bouclais un autre article quand cette lettre intrigante atterrit dans ma messagerie. A vrai dire, je l’ai lue plusieurs fois et je n’étais pas sûre de vouloir la publier. De nature, je suis loin des préjugés, je ne pense pas qu’il faut donner son avis quant au mode de vie d’autrui. Je m’explique: que l’on soit gravé de tatous, acholique, fou, simplet, dur, intelligent, dragueur, flirt-style ou assez réservé, cela ne me concerne pas. Chacun est à mes yeux, libre d’être lui-même, chacune est libre d’être elle-même et je n’ai pas à m’en soucier. Les relations que j’entretiens sont fondées sur des bases d’amitié, d’amabilité et de respect; puisque je refuse le concept de malignité, de méchanceté et de concurrence. Par contre, toute opinion critiquant ma propre existence concerne ceux qui la donnent mais ne m’affecte en aucun cas.

Cependant, sa lettre à elle, troublait mon esprit d’un point de vue déontologique. J’insistais à la modeler et à la publier mais j’hésitais par crainte de ne pas rester fidèle au contenu tout en présentant un article estimé à la hauteur des autres lettres.

Alors, deux jours après, je reçois une deuxième lettre de Linda. Les premiers mots me touchent et m’agacent en même temps; moi qui crois en la liberté de vivre et en cette magie qui réside dans l’unique existence que nous menons, décide finalement qu’elle aussi a droit aux « paroles de Jiji ».

« Madame, c’est parce que je suis danseuse de cabaret que vous n’allez pas publier mon histoire  » ?

« Je m’appelle Linda, j’ai trente quatre ans, je vis à Las Vegas et je suis danseuse dans un cabaret à grande renommée. Mon amie Céline est française, on surfait sur le web, on voulait lire des contes de fées, juste pour s’amuser et, d’un site à l’autre, nous sommes tombées sur vos articles. Cici (je présume que c’est Céline) lisait et pleurait. Elle me traduisait et je commençais à pleurer aussi (oh mon Dieu! On m’avait dit que mes articles font rêver et voilà que ma lectrice pleure!).

Les membres de ma famille me demandent comment ai-je pu voyager tranquillement à Las Vegas et trouver un travail extravagant sans me soucier du fait qu’ils auraient honte de moi. Mon père me dit souvent : Toi, toi, tu n’as pas honte de ce que tu fais? J’aurai préféré lui répondre la tête basse et les yeux fixant le sol, cependant, je regarde toujours de coté et je lui lance un non qui semble le brûler à chaque fois. (Et ta mère?)

Je sais que le film Pretty Woman explicite le désire caché de chacune de nous à avoir cette place de femme au foyer, mariée à un gentleman, avec des enfants, des repas les dimanches en famille, les soirs de Noël autour du feu en tunique identique; oui, peut être, mais pas moi. (Pourquoi pas?). Je sais que je ne suis pas faite pour cette vie. Je ne pense pas que je puisse un jour me concentrer sur un seul homme, les tâches ménagères, me réveiller tôt pour préparer tout le monde, être la gentille épouse qui souffre en silence, et puis les bébés, leurs cris interminables, leurs demandes successives et cette énergie qui s’évapore de mon corps, jour après jour (crois moi je sais très bien de quoi tu parles). Non! Je refuse de vivre ainsi et de me métamorphoser en stéréotype mondain. Je veux rester authentique et crédible envers ma propre personne. Quand je suis dans la rue, je regarde ses femmes exaspérées et je me demande, sans être dure, comment font-elles pour endurer ce calvaire? (je ne pense pas que ce soit un calvaire; il me semble que ce train de vie se rapproche plus d’un cheminement choisi ou non, facultatif ou pas. Une fois maman, il est impératif de tenir ses responsabilités, de prendre conscience des choix que l’on a préférés et d’aller de l’avant jour après jour).

Et puis un jour, en Octobre, je découvre que j’ai le cancer du sein (quoi?!). Je dansais pour un homme et il ne me semblait pas satisfait, pourtant il m’avait payé une somme assez remarquable. Quand je lui permis de me toucher, il me chuchota calmement: vous devez prendre soin de vos seins.

Mes seins ? Alors là, c’est une première! Qu’est ce qui ne va pas? La forme? La taille? La couleur? Dites-le moi, allez-y!

« Je pense qu’il vous faut une mammographie et une échographie certainement ».

Les hommes, les lumières et la dentelle rose s’effondrèrent en une fraction de seconde.

Le lendemain je me dirige vers le centre hospitalier, je subis une échographie, puis une mammographie. On me demande si je suis déjà suivie par un médecin. Non. Je ne me souciais de rien, cela fait longtemps que je n’ai pas visité un spécialiste.

Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails mais aujourd’hui, les séances de chimiothérapie s’enchainent, j’ai mal au cœur et au corps. On me rassure: tout ira mieux. Mais vous ne pouvez pas imaginer ce que veut dire perdre ses cheveux, perdre son charme, perdre sa vitalité, perdre son physique et se perdre ainsi quand on est danseuse. Danseuse de cabaret. (Danser est un art dont la finalité exige une finesse de soie, une harmonie de chœur et un amour de liberté. Comment pourrais-tu sauvegarder ces armes lorsque ton âme s’éteint lentement? Me demandais-je en continuant la lecture).

J’ai perdu mon travail. Je n’ai plus envie de parler aux gens. Les hommes en qui je voyais des étincelles de plaisir ne sont d’aurénavant que des fantômes gris. Mon père a pitié pour moi- mais dans ses yeux, je vois briller une lueur de triomphe. Comme s’il me disait silencieusement: tu as vu? Les mauvaises personnes attirent des mauvaises choses.

Non papa! Imagine que je sois mariée, que j’aie des enfants, comment pourrais-je leur infliger une telle situation? Tu vois? C’est plus facile, plus agréable et plus pratique quand on est seule. On n’a pas mal doublement. C’est nous qui souffrons sans faire mourir les autres.

Je ne regrette pas vous avoir écrit. Je devais sans doute exprimer mon opinion à ce propos, (lequel?) car je ne supporte pas l’idée d’être conçue comme une femme faible et sans dignité. Je ne suis ni l’une ni l’autre. Je me bats contre le seul étranger qui pourrait me résister. J’ai passé des nuits entières à dominer âmes et corps et voilà qu’un démon de taille me met les menottes. Je sais que vous et vos lecteurs allez me détester (moi non, pourquoi? Les paroles sont faites pour les dire, le plus ouvertement possible, avec beaucoup d’élégance) parce que je parle d’un sujet qui porte atteinte aux idées conçues par la majorité, mais je voulais que mon histoire soit publiée. Je veux savoir que je suis toujours forte.

Au final, je préfère toujours être malade que de mener une vie qui ne me ressemble pas. J’aurai toujours le grand plaisir de les étouffer: les hommes, les lumières et la dentelle rose ».

Remarque: pourriez-vous publier votre article le deux Octobre? C’est le soir où l’on m’avait informée qu’un individu m’attendait impatiemment. Si j’avais fleuré son parfum, si j’avais senti sa texture contre ma peau, si j’avais su qu’il allait se marier de moi, je ne me serai pas présentée.

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