« Acceptes-tu de rester mon fils »?

Article : « Acceptes-tu de rester mon fils »?
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24 juin 2019

« Acceptes-tu de rester mon fils »?

Je me demande constamment ce que les gens sont capables de faire pour vivre ce grand amour dont on parle partout. Et parmi les lettres que je lis chaque soir avant de dormir, celle-ci donnait du sens à la question qui me tourmente.

« Madame (encore un Madame), je m’appelle Adam, j’ai 46 ans, je suis architecte. J’envisageais me marier depuis quatre mois mais ce que je découvre bascule tous mes plans. »

Et là, maintes pensées me vinrent à l’esprit, moi qui pense toujours de gauche: alors celle qu’il aime l’a quitté. Elle a un amant. Elle lui cachait un de ces secrets qui déchirent les âmes. Elle est morte? 

« Mon père subit une chirurgie assez grave, suite à un accident de voiture et nous découvrons que je ne suis pas son fils. »

Quoi ? Une minute! Et là, toutes les options que j’avais envisagées me semblent droites.

« Je vous raconte les détails, (oui s’il vous plait), papa est un homme actif, généreux, aimable, fort de caractère mais doux et clément envers les gens. Il travaille beaucoup pour nous aider à faire nos vies et ne se limite pas au fait que nous sommes totalement indépendants, il continue à nous combler d’amour, d’argent, de support mental et d’amitié. Il adorait ma mère qui le respectait profondément. Vous devez savoir que mes sœurs et moi avions toujours senti que l’énergie relationnelle entre nos parents n’était pas égale; (comment?) il était bien clair que papa aimait vraiment maman, on sentait qu’il se tordait en quatre pour la voir heureuse. Tandis que maman avait pour lui un de ces amours rationnels qui se basait sur le respect, l’amitié, la patience et surtout la dignité. Maman était (pourquoi « était? », ne me dis pas qu’elle est décédée!) une femme extrêmement posée, bien formée, beaucoup plus intelligente et éduquée que papa, elle nous aimait au grès de sa propre existence. Très douce, elle ne criait pas, n’avait pas des crises de colère comme les autres mamans que l’on connaissait; mais madame, elle avait cette ombre mystérieuse qui ne la quittait pas. Comment vous clarifier les choses un peu plus? Ma mère était là et pas là. Je ne sais pas, sa présence physique était bien marquée mais son esprit voguait dans des ailleurs que l’on n’a jamais connus ».

Et voilà que mes pensées de gauche reviennent: j’essaie de l’imaginer cette femme. Pourquoi est-elle dans cet état? Se drogue-t-elle? Est-ce l’effet des calmants? Je ne sais pas. Je n’arrive pas à assimiler les informations.

« Donc un soir, en revenant du travail, un camion écrase la voiture de papa. Nous arrivons aux urgences et après quatre heures dans le bloc opératoire, le médecin nous explique que son rein droit est gravement touché et comme il avait des antécédents de mal fonctionnement du rein gauche, il était primordial qu’il soit opéré et voila que l’on commence ces heures de conflits. Nous ne savions pas quoi faire ou comment penser. D’où doit-on lui procurer un rein? Qui sera le plus compatible? Combien doit-on attendre? Mille et une questions nous tourmentaient, jusqu’à ce que je décide de lui donner un de mes reins. (Oh là là.. J’ai les mains moites). J’appelle le docteur, lui demande si cela est faisable, il m’affirme que je dois subir des examens sanguins et qu’il y a toute une procédure à suivre avant de finaliser ma décision. J’accepte sans une seconde d’hésitation.

Et là, après un certain moment, je découvre que je ne suis pas le fils de mon papa … (J’ai envie de pleurer). Je n’ai aucun lien de famille avec lui! Lui, mon père à moi, n’était pas mon papa.

Vous devriez voir le visage du médecin qui avançait dans ce long couloir. Il se grattait la tête, enlevait sa paire de lunettes, la remettait, tournait les papiers, me regardait, redescendait ses yeux dans le dossier, me regardait, allait et venait, soudain je me lève et lui demande: Qui a-t-il docteur?

Et il me répond en balbutiant : Mr. venez dans mon bureau, il faut que l’on parle.

J’ai cru que papa était mort et qu’il ne voulait pas me l’annoncer devant toute la famille, mais, une fois assis, il m’annonça la suivante: Adam, vous n’avez aucun lien familial avec votre père. Les examens que vous avez faits ce matin ne montrent pas de traits génétiques identifiables. Je suis désolé de vous le dire de cette manière mais vu la situation, j’ai eu le pressentiment que vous n’êtes pas au courant, sinon vous ne vous seriez pas présenté comme donneur.

Ah la catastrophe!

« Et ce fut la réponse aux deux grandes questions qui me torturaient: pourquoi ma mère me disait toujours, « tu es mon préféré, tu es le cadet mais tu es mon préféré » et puis cette phrase qu’elle me répétait avant de mourir, il y a un an: « Je t’aime Jonathan, je t’aime. Et moi, comme un idiot je lui répondais: maman je suis Adam, c’est qui Jonathan? »

Alors, les mains sur les joues, les yeux bloqués sur l’écran de mon ordinateur, c’est la nuit, je reste assise dans mon canapé, je ferme les yeux et pour une toute première, mon cerveau arrête de fonctionner pour un lapse de temps qui me parut éternel.

Les folies de l’amour, l’état de ce jeune homme, la situation du père, les paroles de cette maman morte, toute une vie, toute une histoire filait devant moi; et, au lieu de continuer la lecture, je décide de me reposer car, je pensais dorénavant à ce père, et me demandais s’il savait ou pas. Adam, m’avait-il raconté la suite? 

« Le docteur me demandait de réfléchir, de voir si l’une de mes sœurs serait prête à donner un rein; et si par hasard Anna ou Janine n’étaient-elles pas aussi les filles de mon papa?!

Une infirmière vient nous annoncer que mon père est réveillé et qu’il était possible de le voir pour un moment. J’entre seul, je lui tiens la main, il me regarde avec une tendresse que je côtoie depuis mon jeune âge, et, sa main dans la mienne, j’ose lui demander: papa, tu savais?

On s’attend à tout sauf à ceci: oui, et tu es mon préféré à moi aussi, parce que je ne voyais l’amour dans ses yeux que lorsqu’elle te regardait, lorsqu’elle parlait de toi, lorsqu’elle t’a pris la première fois dans ses bras ». 

Bon, c’est la fête des pères et je m’efforce à ne pas pleurer, mais là … 

« Madame, ma sœur Janine a fini par lui donner un rein, elle avait une forte compatibilité. Quand papa était rentré, je ne pouvais pas le regarder dans les yeux, j’avais honte. Je ne savais pas quoi lui dire. Jusqu’au jour où il m’appelle, me prépare un thé et me dit: tu m’écoutes bien, tu es mon fils, c’est moi qui t’ai élevé, je sais que tu es troublé mais crois moi, je suis fier de toi, tu me rappelles ta mère et tu es la preuve vivante du vrai amour. Alors si tu acceptes, j’aimerai bien que tu restes mon fils.

 Papa, comment fais-tu ? Sais-tu au moins qui est ce Jonathan?

 Si cela t’intéresse, on ira le trouver ensemble. Moi, je connais Liliane (alors la maman s’appelait Liliane) et Adam. Jonathan ou pas, cela n’ajoute aucune importance à mon être. Ta mère est une femme de valeur, elle avait ses faiblesses comme tout le monde et elle m’aimait à sa manière. C’était mon choix de la quitter ou pas. Et comme je ne pouvais vivre sans elle, j’ai pris la décision de me dédier à cette belle famille sans lui poser des questions. Un homme agit et ne se lamente pas. Voilà c’est aussi simple que ça. Et puis Anna est arrivée et je savais au préalable que ta mère tenait à nous parce qu’elle vivait dans des ailleurs qui lui plaisaient, sans nous quitter afin de matérialiser ses désirs et pour ce, je la respectais énormément, je vénérais le sacrifice qu’elle s’était infligée, pendant que d’autres mettaient de coté leurs enfants au dépend d’un amour finalement éphémère ».

 Ah là là ce papa!

 « Madame, je ne suis pas allé à la recherche de Jonathan, moi mon père, je sais très bien c’est qui »! 

L’email prend fin sur ces mots. Ce père, j’ai envie de le connaitre, de mettre une image concrète à celle que j’imagine, de donner une voix aux paroles que j’ai entendues dans cette lettre. Et au final, de lui demander à lui, comment peut-on aimer ainsi?

 

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