Mon stéthoscope battait pour elle

Article : Mon stéthoscope battait pour elle
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1 octobre 2018

Mon stéthoscope battait pour elle

Je me demandais souvent ce qui pourrait se passer si les médecins tombaient amoureux de leurs patients. Comment vivent-ils cette situation? Quelles idées leurs viennent à l’esprit? Et leurs sentiments humains qui se heurtent à l’éthique professionnelle? Ou cette déontologie qui leur ronge la cervelle? Jusqu’au jour où une lettre m’arrive de Tunisie. Après les belles salutations, cet homme m’écrit:

“Je suis cardiologue depuis plus de 12 ans et je n’ai jamais eu de sentiments envers mes patientes. Mais elle, ce fut l’apocalypse! Elle débarque dans mon cabinet avec un « Bonjour » qui fait toute la différence. Triste. Elle était de très bonne humeur, joviale et souriante, mais ses yeux débordaient de désarroi, de larmes sèches et de morosité (oui je comprends). Elle avait toutes les responsabilités du monde sur ses épaules et elle jonglait avec les heures pour prolonger le jour. C’est ce qu’elle me racontait. Elle n’était pas parfaite, mais sa beauté se multipliait à chaque mot qu’elle prononçait et qui raisonnait dans mon cœur”.

Ah! L’amour! 

“Je lui demandais ce qu’elle ressentait, pourquoi était-elle venue me voir? J’ai mal au cœur. Il me semble que mon cœur freine pour un instant et reprend son rythme. J’ai vraiment mal docteur. A ces paroles, j’eus envie de me lever et de la prendre dans mes bras. De l’enlacer fortement pour qu’elle sente ma présence, ma compassion soudaine et ce coup de foudre qu’elle seule a pu réveiller en moi. Cependant, je restais figé dans mon fauteuil, les menottes de l’éthique professionnelle me serraient les mains. 

Que faut-il que je fasse docteur?

Et bien madame nous procèderons à un examen maintenant et je vous demanderai un bilan sanguin, néanmoins, d’ici que les résultats soient prêts, vous devez vous reposer. Faites une petite marche les après midi ou les soirs; sortez dans la nature, nagez un peu; bref, vous devez permettre à votre corps de se relaxer (corps et cœur sont intimement liés à mon avis). Docteur, je ne peux pas. Je dois prendre soin de tout le monde et j’ai beaucoup de responsabilités à assumer. Marcher? Nager? Me reposer? J’en rêve docteur, croyez moi. Mais je ne peux pas. Pourquoi madame? Ne prenez pas mal ma question mais ne pouvez-vous pas vous accorder 30 à 45 minutes pas jour?

Si, je prends ma douche durant ce temps et je bois mon verre de vin avant de dormir. C’est dont à quoi j’ai le droit. Alors quand vous me demandez de rajouter 30 à 45 minutes aux miennes, la durée totale est impossible à acquérir. J’avais envie de me taper la tête contre le mur. Pourquoi une femme, charmante, active et douce est-elle prisonnière d’une vie qui ne lui ressemble pas”?

Et qu’as-tu fait? Tu as causé un peu plus avec elle? Peut être avait-elle besoin de quelqu’un à qui raconter ses maudites journées qui n’en finissaient pas; ou au contraire, exprimer sa joie envers un acte qui l’a aidé à dépasser ses nuits morbides?

“Un quart d’heure après avoir pris note de tous les détails concernant sa santé, je lui tends le papier qu’elle devait donner au laboratoire. Tamara (Ah! Elle s’appelle donc Tamara) me remercie et quitte, emmenant avec elle mon esprit et mes idées, voire, mon être.”

Et tu la laisses sortir ?! Aussi facilement que ça? Sans la retenir? Ah oui, j’oubliais, la déontologie et l’éthique l’emportaient malheureusement! 

 “Tandis que les jours passaient, son image se gravait de plus en plus dans ma mémoire, son parfum ne lâchait pas mes narines et sa voix me pinçait le cœur.”

Alors tu l’appelles pour avoir de ses nouvelles, pour savoir si les examens sont faits, tu lui envoies un texto lui demandant si son cœur lui faisait toujours mal … 

“Et j’étais là, assis dans mon cabinet, en attendant qu’elle me rappelle, qu’elle me raconte ce qui s’est passé avec elle ou à m’affirmer que les résultats sont bons en général. Mais elle était revenue à sa vie de marathon et j’étais sûr qu’elle n’avait même pas le temps de me parler. Déjà pourquoi devait-elle le faire? Tamara n’a certainement pas senti qu’elle me plaît. Elle est mariée et selon mon diagnostique d’homme, elle est très classe et posée pour flirter avec les hommes”.

Ah là là! Arrête de réfléchir! Envoie-lui un bonjour! Ces histoires vont me rendre folle! 

“Elle a trop de pudeur! Elle semble courageuse, cultivée et intelligente, elle sera probablement dérangée par mon message”.

Oh! 

“Jusqu’au jour où, un tout petit paragraphe fit toute la différence!” 

Enfin! Tu lui as parlé! Bravo! Tu es finalement son médecin ce n’est pas un crime! 

“Tamara me saluait et m’envoyait les résultats du bilan sanguin. Ne voulant pas m’imposer, je répondis brièvement et lui demandai si elle avait toujours mal”.

Très bien!

“Elle m’expliquait qu’elle allait mieux. Pourtant, le bilan sanguin m’indiquait qu’elle avait une enzyme assez élevée. Je m’inquiétais pour elle mais la situation m’intriguait. Puis-je aller plus loin? Non! Je terminais la conversation. Une question rodait dans ma tête: qui prend soin de toi Tamara”?

Mon Dieu! Mais pose-la-lui!

 “Je sais que je suis lâche. Elle me plaît énormément, mais j’hésite (tu es fou!). Et si cela ne lui convenait pas? (Tu ne lui as même pas avoué tes sentiments comment ceci ne pourrait-il pas lui convenir?). Quelle serait sa réaction? (Suite à une première analyse de son mode de vie, elle sera probablement contente de savoir que quelqu’un pense à elle; qu’elle existe encore. Peut être a-t-elle besoin de compassion, ou de rire sur des nouveaux propos. J’espère que tu lui as parlé!). Elle était revenue plusieurs fois dans mon cabinet. Je ne savais comment l’examiner, comment la toucher, que lui dire de ce petit cœur qui bat fort? J’essayais de lui expliquer que son énergie débordante pouvait lui causer des problèmes cardiaques. Les paroles médicales étranglaient mes émotions et les mille mots d’amour que je voulais lui dire (ce n’est pas vrai!). Mon intérieur fondait tel un glaçon en plein désert, mais le courage me manquait”!

Boff! 

“Ses yeux se cramponnaient à cette tristesse imminente (demande lui pourquoi est-elle aussi triste!). Vous n’allez pas me croire mais jusqu’aujourd’hui je ne me débrouille pas! Je suis accablé par ce dilemme qui sculpte la cervelle! Je ne sais quoi faire”.

Et c’est terminé ?! Non ! Ne me dis pas! Bon, puisque ta belle lettre d’amour s’achève ici, je t’assure que mes lecteurs et moi sommes vraiment déçus! Tu ne peux pas commencer une histoire sans la clôturer! Tu n’as pas le droit, c’est trop de suspense et de déception à la fois. Il est impossible que vous demeuriez ainsi, parle lui en observant sa communication, ses gestes, son visage, la tonalité de sa voix, etc. Il est très facile de montrer son mécontentement, mais il est encore plus simple de détecter une personne solitaire, prête à partager un moment de répit.

 “Puisque je pensais à elle souvent et que les limites m’obligeaient à ne pas la déranger, (j’aime ce mot, je l’utilise en amont) j’ai finalement décidé de devenir son ami. J’entre en contact avec elle à petits pas, je lui écris un texto, je fais semblant de lui poser une question concernant son travail; comme quoi un proche a une affaire avec la justice et je voulais son avis d’avocate. J’ai senti que mon message l’a motivée. Elle m’a répondu avec beaucoup de gentillesse et de vivacité. C’était sa nature je crois, elle était forte. Tamara avait les pieds sur terre mais elle laissait un peu d’espace aux rêves, aux ambitions et à la vie. J’observais son rythme sur les réseaux sociaux et je comprenais qu’elle s’agrippait avec ses griffes au semblant de vie qu’elle aurait aimé vivre. Elle voulait expérimenter le monde, aider les autres, parler franchement, respecter autrui, faire des gestes de charité. A mes yeux, elle est la femme idéale. Celle qui lisait des livres-papiers, qui croyait en Dieu mais qui ne se cachait pas derrière des postulats. Une femme en tête dans tout ce qu’elle entreprenait. Au fil du temps, j’arrivais même à lire entre les cordes de sa voix. J’ai finalement compris que sa tristesse la motivait à être une bonne personne. Cette tristesse imposée par la vie qu’elle menait n’allait sans doute pas la quitter parce que Tamara est une femme de valeur au cœur d’or. Elle insinuait parfois la possibilité d’être attirée par ma personne, mais elle ne me permettait jamais de casser les obstacles qui nous séparaient. Sa façon implicite de refuser se mêlait à un charme irrésistible d’élégance. Je ne forçais aucun acte, je ne prononçais aucune parole indigne, mais notre communication silencieuse battait tous les records sonores”.

Eh oui, il me parle de communication, moi qui en suis une experte! Ah! Cette communication silencieuse qui dit tout.

“Un jour, en sortant de ma clinique, elle me regarde droit dans les yeux, chose qu’elle fait sans aucune crainte, et me lance un merci qui me pointa le centre du cœur. Je sortais une phrase plus banale que la banalité car ce merci m’avait bouleversé. Alors elle me corrige en répétant : ce n’est pas un de ces mercis, merci. C’est plutôt Le Merci. Et voilà, nous suivons ce chemin qui n’aboutira point. Mais ma belle me dit Merci de temps en temps et je sais que mon amitié pour elle adoucit en quelque sorte l’enfer dans lequel elle baigne gracieusement« .

Face à des histoires comme celle-ci, mon imagination ne peut que déborder. On vit dans un monde où les enfants d’une même famille se détestent et voilà que deux étrangers nous prouvent que la tendresse reste reine.

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