21 mai 2016

Le diable vit ici

Lorsqu’un peuple vote « argent », « services », « faveurs », « pistons », « famille », « amitié » et que la majorité est convaincue « qu’il vaut bien accepter et rester avec ceux qui nous gouvernent maintenant au lieu de donner la chance à de nouvelles personnes », alors il est bien évident que le diable vit ici.
Le pays coule sous les dettes nationales, les poubelles se baladent dans les rues depuis 10 mois, les enfants n’ont pas de parcs gratuits pour jouer en pleine nature, les députés voyagent et ne prennent pas la peine de travailler. Mais, le comble c’est que le Président de la République est absent. Non, non, on n’est pas en classe et je ne fais pas l’appel, mais ceci est un vrai phénomène que nous vivons depuis plus de deux ans et, comme par malédiction, le peuple ne se sent pas du tout concerné.
La vie continue tant que nous pouvons acheter de nouveaux habits ou une paire de chaussures; tout va bien tant que le coiffeur est ouvert et que l’on peut se faire une pose de vernis chez l’esthéticienne. Et pour les hommes, c’est bon tant que la voiture brille et que le cigare est toujours prêt durant les soirées. Tant que la barbiche est taillée et que le parfum est bien porté, le pays roule à merveille.
La chance revient durant le mois de mai; les élections municipales ont lieu. Réparties sur quatre dimanches, elles s’affirment comme pilier des évènements qui pourraient changer la situation qui viole le Liban depuis plus de vingt ans.
Les jeunes, noyau de la société, croient en cette opportunité. Après plusieurs années de révoltes réprimées par le gouvernement, ils veulent penser que leur vote aura une importance. Ils veulent que leurs voix soient entendues. Ils veulent se sentir utiles quand ils ont laissé leurs écoles, leurs universités et leurs petits boulots pour se réunir et crier Liberté dans la Place des Martyres au cœur de Beyrouth. Ils supplient Dieu ou la nature ou le destin de les soutenir dans leur lutte contre les tyrans. Ces jeunes qui ne veulent pas quitter un Liban qu’ils aiment, ne comprennent pas pourquoi leur pays les déteste autant. Ils ne savent pas pourquoi ils sont obligés de quitter leur Terre brune pour aller chercher fortune ailleurs. Ah! Et ils excellent dans n’importe quel autre endroit, mais jamais dans leur pays natal.
Bon, revenons à notre sujet principal: les élections miracles qui basculeront le régime actuel et qui permettront aux gens de vivre en paix, en sérénité et surtout en dignité; une rêverie d’un jour ensoleillé. La réalité est très loin de cette belle image qui s’avère inaccessible, voire utopique. Ne soyez pas étonnés. Au Liban, les leaders au vrai sens du terme n’existent pas. Ici, le diable a pris leur place. Élire une personne respectueuse et honnête reste une affaire impossible. Dès le premier jour, les résultats annoncent le pire: ce sont les mêmes maires qui reprennent les rennes de leur mairie et de leurs municipalités pour six nouvelles années. Le scrutin n’est pas à la hauteur des attentes des jeunes, Cependant, il reflète une folie incroyable: le peuple –en majorité- veut, volontairement rester dans la situation atroce dans laquelle il vit depuis deux décennies.
Le peuple de mon pays est atteint d’une maladie grave dont les symptômes sont l’orgueil, l’égoïsme, la nonchalance et la folie. Dès que les sous furent lancés à terre, les moutons de Panurge se jetèrent dans l’eau en noyant tous les rêves, toutes les attentes, tous les changements mélioratifs et tout l’esprit de jeunesse qui meurt avant de vieillir. Albert Einstein décrit merveilleusement ce cas lorsqu’il affirme que « la folie c’est de faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. »
Le Liban n’est hanté que par les gens qui piétinent sa surface tous les jours. Le diable n’ose jouer ses cartes qu’avec ce peuple car il sait qu’il sortira gagnant à chaque fois. Il le fait depuis plus de vingt ans et il a compris que ses adversaires n’attendent que la fin du jeu pour aller dormir, ils n’ont jamais pensé à essayer de prendre leur courage à deux mains pour le battre. Il sait bien que « culture », « futur », « choix », « changement » et « dignité » ne sont pour eux que de simples mots dont la définition est inconnue, des termes qu’ils cherchent encore dans le dictionnaire.

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Commentaires

Elie
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Jugement bien correct bravo. Rien ne pouvait décrire nos illusions plus que la citation mentionnée de Einstein.
À mentionné aussi notre enchantement D'être presque le seul pays qui applique la démocratie en moyenne orient avec un parlement qui s'auto renouvelle 2 fois par son propre décision bien ça même l'intelligence d'Einstein ne pouvait pas prevoir

Jiji
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Notre pays: une excellente cacophonie. Merci pour tes commentaires aussi motivants que vrais.