La presse libanaise meurt de faim

Article : La presse libanaise meurt de faim
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28 avril 2016

La presse libanaise meurt de faim

Les premières lueurs du jour apparaissaient et nous étions tous prêts à commencer la journée. Les nouvelles s’avéraient négatives, voire sombres. Le pays arrivait au stade d’ébullition et le peuple sentait l’ampleur des évènements. C’était le 10 juillet 2006, nous avions eu ce pressentiment : contacter nos familles et leur demander de rester à l’abri.

Les sources nous envoyaient constamment des rumeurs et nous ne savions plus où réside la vérité. Cependant la réalité tapait fort de son ampleur : nous basculons vers une guerre que les citoyens ne pouvaient point assumer. Financièrement, le pays passait par une crise aiguë ; socialement les membres de la même maison s’entretuaient à cause de ces leaders politiques qui cousaient leurs affaires dans les dessous de notre abominable existence.

« Maman, prépare nos passeports brésiliens, la situation va s’aggraver. Le flux d’informations et les nouvelles rumeurs me semblent péjoratifs ». Or les Libanais qui avaient survécu la guerre des années 1975, n’allaient pas fuir des bombardements israéliens. La folie !

Nous étions assez perturbés que les papiers volaient dans tous les sens. Nous montions dans la « cuisine » pour écrire les détails d’une nouvelle pendant que d’autres descendaient les escaliers pour atterrir dans les studios et diffuser les « flashes ».

« Alors ? Vous pensez que l’armée sera capable de surmonter les attaques ? Qu’en est-il pour les affrontements ? Et l’essence ? Allez que chacun aille remplir le réservoir de sa voiture. Acheter du pain, n’oubliez surtout pas les provisions. »

Horrifiés ou plutôt terrifiés, nous attendions impatiemment l’info du jour. Que se passera-t-il ? Et l’activité à l’aéroport ? Qu’en est-il de l’aviation ? De la navigation ? Les routes sont-elles déjà coupées ?

Il est maintenant huit heures du matin et les gens commencent à digérer les informations diffusées en amont par tous les moyens de communication ; par conséquent, voilà que les appels téléphoniques se transforment en une parfaite mitrailleuse. « Donc il faut que je fasse les courses ? Croyez-vous que le pays sera abattu par l’ennemi ? Et mon business, je viens d’ouvrir un magasin de prêt-à-porter !!! Dois-je chercher les enfants de l’école ? Mais madame la journaliste, soyez honnête, dites-nous ce qu’il faut faire ».

Aucune idée !!! Mon esprit flottait dans les airs mais mon mécanisme bureautique et ma motricité fonctionnaient à merveille car avant tout, il fallait que je demeure alertée, moi qui attendais une extravagante surprise vue la tempête qui se préparait dans l’horizon.

Bip.Bip.Bip.Bip. « Nous vous adressons ce communiqué afin de vous révéler que l’autoroute principale menant à l’aéroport vient d’être coupée par des milices appartenant à un parti politique. Nous vous demandons de ne pas diffuser cette information avant notre signal. Toute indulgence ou propagation de cette histoire avant notre accord vous rend responsables des conséquences. Notre but est de vous tenir au courant afin que vous puissiez contacter vos reporters ou autres personnes sur le terrain pour ne pas saccager cette situation en divulguant cette information qui demeure secrète, pour l’instant. Merci pour votre coopération ». Avec sûrement  le nom, la signature et l’emblème officiel de l’émetteur.

« Allô ?! Mr. le rédacteur en chef ?! Je sais que vous conduisez et qu’il ne faut pas que je vous contacte mais « il a fallu que je [vous] raconte cette histoire au plus vite », je crois qu’on doit la diffuser immédiatement. Ce n’est pas logique de cacher ce qui se passe vraiment. Imaginez-vous qu’il y ait une famille avec des enfants et un nourrisson qui s’apprêtent à rentrer à Tyr, ils seront coincés pour je ne sais quand dans cet enfer. Et puis, nous devons contacter notre envoyé spécial pour plus de détails. Je lui demanderai d’enregistrer une bande sonore, je fais le montage moi-même, ne vous inquiétez pas et je la passe sur les antennes. Par la suite, nous pouvons lui parler en direct puisque le journal commence dans quelques temps. Et puis, ces milices armés, oh là là, ce n’est pas bon signe. J’ai l’impression qu’une vague de violence se prépare, oh là là … alors je vous attends ou je fonce ? Oui, oui, toute l’équipe et présente. Oui, oui, les gens nous appellent de partout. Attendez, il semble qu’un homme se trouve dans l’aéroport et il vient de contacter notre réceptionniste, la direction a annulé les vols pour le reste de la journée. Oh mon Dieu, que se passe-t-il ? D’accord, oui, oui. Non, j’attends votre feu vert pour INFORMER LE PEUPLE. Et donc ? Les conséquences ? Mais quelles conséquences ? Nous entrons dans une phase de pré-guerre !!!! C’est notre devoir … C’est leur droit de savoir … Mais … Mais … Je vous passe ma collègue. »

Deux jours après, la fameuse guerre de 2006 nous annonce les enfers. Le peule baigne dans une terreur affreuse, les gouverneurs prennent leurs « jets » privés et s’envolent vers Chypre ou d’autres pays voisins qui se vantaient –pas pour longtemps- d’une stabilité invincible et d’un régime enraciné et intouchable –pas pour longtemps aussi- ; et le journalisme lui, dormait profondément dans les bras de Morphée.

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Commentaires

Elie
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Oui tout est vrai. J'étais dans le pays au moment que cette guerre a été déclenchée et le stage de perplexité régnait sur les gens et sur les autorités personne pouvait prévoir l'ampleur de la réponse israélienne ni la préparation des forces au Liban.
Ce qui était sûr, et Jiji l'a bien affirmé que ce qui a du supporter est le peuple mais ceux qui étaient élus pour prendre la responsabilité, eh bien se sont trouvés ,la plupart aux champs à Paris

Jiji
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Je me rappelle de cette histoire, un certain député, avec une paire de lunettes, dégustant son café qui coûtait 16 francs dans le temps, pendant que nous attendions à tour de rôle pour remplir de l'essence ...